Quelques constats et réflexions sur la mécanique humaine. Pour discussion bien évidemment !
Comment s’adapter, soi, et à soi ?
Un des principes fondamentaux du Budo est l’adaptation. Pour survivre à une situation de guerre, extrême par essence. Ou pour vivre en situation moins manifestement violente, et néanmoins précaire.
Pendant environ deux ans, dans une optique de compétition, je me suis adapté, physiquement, à ce que ce chapitre de notre pratique exigeait à me yeux : du souffle, de la vitesse, de l’explosivité, un peu de force aussi.
J’ai essayé de me caler comme on règle un moteur de précision, pour une voiture courant sur circuit, aux 100 microns près : la main, doigts serrés, pouce serré, sur chaque ikite. Chaque boulon serré comme indiqué sur la notice constructeur.
D’apprendre le circuit, de le bachoter : esquive en chassé, suri-hachi, bien loin, 45° avant, sur un mawashi, pour pouvoir lancer son yoko en contre-attaque, déjà axé, la hanche passée.
De soigner mon carburateur, virer le gras un peu sale de mon alimentation, les sucres artificiels et pourris du grignotage, les excès de picole, les clopes même occasionnelles. Retour aux patates et légumes bios, un coup de rouge et un rien de bière de temps en temps, pour ne pas non plus devenir fou. J’arrête le fioul lourd bourré de scories et de soufre et je passe au gasoil plus cher.
L’œil au compteur (celui de la balance) : il y a encore à gratter, tu remontes en poids, il en reste, du gras, à évacuer.
En résumé, j’ai soigné la machine dans le garage, en la gardant à l’abri des intempéries. Pour finalement me rendre compte de plusieurs choses, pendant et suite à la compétition.
Le poids, c’est ce que donne la balance. Qui peut aussi se tromper.
Et puis la balance dit, mais ne sent rien. Se garder un peu de gras, pour la réserve, pour encaisser un peu au besoin, ce n’est pas non plus si mal. J’ai eu l’impression, pendant certains combats, d’être presque à l’étroit, comme dans un kimono une taille trop petite. Pas assez de viande, pas assez de marge de manoeuvre.
A trop regarder le compteur, on a moins l’œil sur la route. On retrouve ici un principe du zanshin : avoir une perception globale de la situation sans s’arrêter sur chacun des détails.
Les gens avec qui j’ai plus ou moins l’habitude de bosser évoluent aussi. Apprendre le circuit, oui, mais se reposer uniquement sur ce que l’on a appris, non. La piste a changé le temps qu'on la connaisse. Sans compter les parfaits inconnus, au style lui aussi parfaitement inconnu (je pense aux collègues africains, bonjour au passage). Impossibles à apprendre, eux.
Finalement, plus que d’un véhicule de course, c’est d’un tout-terrain, dont on a besoin, ou d'un utilitaire. D’une machine certes pas calée au plus précis, mais dont on connaît le terrain le plus favorable, le régime le plus adapté. Ca n’évite pas de faire craquer un peu la boîte de vitesse, de fumer noir dans certaines côtes, mais au moins, on sait à peu-près où on va, on sait « jusqu’où aller trop loin », pour pousser un poil au-delà au besoin.
Les outils eux-mêmes, aussi, sont à adapter. Se servir d’un marteau dans un recoin, sans la place de l'armer, c’est tout sauf évident. Demandez à un droitier de visser un écrou de la main gauche, et vous aurez des surprises. Apprendre, c’est aussi se bricoler ses outils.
Garder une part d’inconnu, d’aléatoire, de non-maîtrisé, et l’accepter, comme un gosse qui s’aventure sur un muret sans trop savoir marcher, c’est un bon moyen de toujours se remettre en question, toujours apprendre, et donc toujours grandir. Parce qu’hors du tatami, on vit rarement sur une table de billard, lisse et verte, ou sur une page blanche. Il y a toujours du relief, des ratures. Comme un tout-terrain, aller chercher sur des terrains inconnus, en friches mais praticables, permet de sortir des ornières qu’on se trace soi-même. Sinon, de l’ornière on fait un fossé, un ravin, et on perd le moyen de donner un coup de volant pour éviter un obstacle. On continue à penser en ligne alors que trois dimension s'offrent à nous.
Considérer mon corps comme une machine, comme MA machine, sans la dissocier de ce que je suis par ailleurs (émotions, pensées, etc.), m’a permis de tester certains bricolages plus ou moins efficaces. Je conduis un modèle qui a trente ans, encore robuste, que je commence à connaître un peu. D’ici plusieurs années, les roulements prendront du jeu, et il faudra peut-être faire quelques détours, décoller encore le nez de la piste, pour arriver aux mêmes endroits. En attendant, je garde les mains dans le cambouis.
Ossu,