Nous avons vu la mue du Thi d’okinawa, pratiqué clandestinement, où il s’agissait de sauver sa vie, donc d’être très efficace jusqu’à pouvoir tuer d’un seul coup.
Il s’en est suivi une transformation à des fins éducatives pour pouvoir être enseigné à l’école, en enlevant un certain nombre de techniques trop dangereuses.
Puis l’exportation au Japon du Karaté, avec la volonté d’être admis dans le budo, dont un des exemples de l’époque est le judo, va continuer à enlever ou modifier un certain nombre de techniques.
Refaisons un petit détour avec Kenji Tokitsu.
Né au Japon, il s’est installé en France à 24 ans. Pratiquant d’arts martiaux et créateur de son école Tokitsu-ryu, auteurs de livres dont une traduction commentée du Gorin no Sho de Miyamoto Musashi, c’est un sociologue et spécialiste des civilisations orientales qui s’interroge sur l’histoire du karaté et du budo.
Dans son livre « La voie du karaté ; Pour une histoire des arts martiaux japonais », il nous dit : « Dans le budo (l’ensemble des arts martiaux japonais), cet état (mode d’existence envers soi-même et autrui) est atteint par la maîtrise de techniques orientées vers le combat à mort »
Le Budo se développe dans un contexte historique où il n’y a pas de distance entre le mode de vie et la pratique de techniques de combat par les guerriers, ce qui l’a amené à un très haut niveau.
Il a fallu qu’ensuite il se repense, pour s’adapter à une nouvelle société, mais il est resté profondément ancré dans la culture japonaise où l’homme, respectant les rythmes de la nature et les siens peut se réaliser avec ces arts.
Le karaté, issue d’une autre histoire, à fait son possible pour mériter d’être accepté comme budo.
Mais il a eu beaucoup de difficultés, Kenji Tokitsu nous dit que « le karaté a été considéré par le public japonais comme un art martial au bas de la hiérarchie qualitative des arts martiaux venant après le Kendo, le Kyudo, l’aïkido, le judo… »
Il pense que cela est du au fait que Kendo, Kyudo aïkido, judo… viennent historiquement de la classe guerrière, souvent noble, y compris dans la structuration du nouveau Japon.
Le karaté n’avait pas cette relation et souvent, les pratiquants de karaté provenaient de couches sociales plus basses que les pratiquant des autres budo.
Remarquez également que l’on dit spontanément Ju-do, Aïki-do, Ken-do, Kyu-do, Iai-do (je laisse volontairement de côté les appellations jutsu) mais on dit Karaté et non pas Karaté-do !
Parallèlement, s’effectue progressivement une autre mue avec la compétition. En France et probablement tout l’occident c’est généralement sous la forme des sports de combat qu’apparaitront judo, karaté, kendo par exemple. Cela brouillera le message sur ce qu’est un budo.
Il en sera de même avec Nanbu Doshu Soke.
Il apparait comme compétiteur, et quel compétiteur !
Et puis très vite, à 23 ans, il cherchera autre chose.
Nanbu Doshu Soke est Japonais, pas Okinawaïen. Si le Nanbudo à des racines à Okinawa, il en a également au Japon !
Après le karaté Shukokai, le karaté Sankukai ou apparait également la notion de Sankudo, Nanbu Doshu, dans la tradition des budo, donnera son nom, et non pas à un ryu mais à un Do. D’ailleurs se côtoieront l’appellation Nanbudo et Nanbu-budo.
C’est donc bien un Budo qu’a créé Nanbu Doshu.
Retrouvant toute la richesse originelle du thi d’Okinawa avec les techniques oubliées de la compétition, Nage, Kansetsu, Shime… il va les transformer pour certaines, les orchestrer différemment, leur donner du sens, les relier à un travail du Ki et à une philosophie pour une autre vision du Budo adaptée au 21e siècle.
Carel Stéphane Daï Shihan