Dans les précédents épisodes je me suis plutôt axé sur ce qui ne caractérisait pas une école par rapport à une autre, et pour cela, nous avons vu que les techniques ne permettaient pas de faire des différences.
Mais nous nous sommes intéressés à des techniques prises isolément : esquive, Atémi, Kansetsu, Nage, Kokyu, Ki Do Ho….
Il faut donc avoir une vue d’ensemble pour caractériser une école ! Comme souvent ce n’est pas le détail qui est important mais la vision globale !
Petite diversion : le Hikite.
Je ne veux surtout pas dire que les détails n’ont pas d’importance, mais lorsque le détail devient ce qui est le plus important, lorsqu’il masque l’ensemble, il devient un dogme et ce dogme devient dangereux pour le Bu Do. C’est cela que dénonce Kousaku Yokota Sensei dans son livre « Les mythes du Shotokan »
Un des exemples les plus flagrants me semble le Hikite.
Pour l’anecdote, je me rappelle que ce qui bloquait les karatéka au lancement du Nanbudo, c’était le Hikite qui n’était pas le poing tiré à la hanche, sous-entendu le seul Hikite ! Alors qu’il y avait tant de choses différentes comme les Tenshin Uke, les Nage et les chutes que nous ne savions pas faire, Nanbu Taiso, Nanbu Tenchi Undo, les Nanbu Kata, mais non, ce qui bloquait c’était le Hikite, je devrai dire ce Hikite là !
Kinjo Takashi Sensei, dans la revue Yashima ne dit pas autre chose : « De nos jours, on a trop tendance à faire les mouvements sans réfléchir à quoi ils servent. Ainsi la pratique du Hikite est devenue systématique au Karaté, ce qui est une aberration. Le Hikite correspond à une étape nécessaire pendant laquelle le corps se forme, ensuite il n’est utilisé que si nécessaire. Surtout, il ne faut pas faire d’appel et ramener le bras en arrière. Si la main est déjà devant, elle doit partir de là, propulsée par la force qui vient des pieds. Il faut aller au-delà de la forme et s’entrainer beaucoup pour comprendre l’essence du mouvement »
Et pourtant Kinjo Takashi Sensei est un Maitre Okinawaien, 10e dan, de l’école Ueshi ryu, école très dure et traditionnelle !
Kousaku Yokota Sensei, lui, a été 40 ans membre de la JKA, puis il a rejoint la JKS pendant 7ans avant de créer l’Asai Shotokan Association Internationale, un pur Shotokan s’il en est !
Lui non plus ne conteste pas l’utilité du Hikite. Il démontre que dans de nombreux cas le geste Hikite n’est pas obligatoire comme dans les coups simultanés (Yama Tsuki…) ou lorsque l’on bloque d’un bras et effectuons une contre-attaque dans le même temps.
Il nous dit également, entre autres : « L’autre point important est le fait que conserver un poing collé à la hanche n’est pas efficace. Ce type de Hikite est appelé Shinite, ce qui signifie coquille vide (ou littéralement, main morte). La main doit se trouver plus près du visage et de la tête afin de les protéger, tout en étant plus proche de la cible et prête à donner un coup. »
Il écrit également :
« Il est évident que si l’adversaire est déséquilibré, il sera dans l’impossibilité d’attaquer et même de se défendre de manière efficace. Comment déséquilibrer l’adversaire ? Vous pouvez le pousser, effectuer un balayage, ou tirer l’adversaire vers vous. La méthode traditionnelle était d’agripper le poignet, la manche ou les vêtements de l’adversaire et de le tirer vers vous alors que vous portez le coup. Malheureusement, ce concept a été peu à peu retiré de l’enseignement et tout ce qu’il en est resté est le « Hikite » ».
Ce long détour d’une part pour ne pas résumer un art martial à un détail et d’autre part pour ne pas remplacer un dogme par un autre pour se distinguer. En la matière, Nanbu Doshu Soke a codifié beaucoup de manière à faire un Hikite afin que nous en dépassions la forme.Revenons au Nanbudo : à une vision d’ensemble et non pas à une addition ou catalogue de détails !
A un examen de passage de grade de 5e dan à la FFKDA où j’étais dans le jury, un haut gradé Shotokan m’a dit « il a travaillé votre Maitre ! »
En effet !
- -Les techniques de combat avec les Randori et les Ninin Gake, Tenshin Uke et Sotai Uke, Kihon et Ju…
- -Les techniques de santé, corporelles, énergétiques, de respiration avec les Nanbu Tenchi Undo, Nanbu Ki Do, Nanbu Shizen No Ki, Nanbu Kokyu Ho, Shoshuten, Daishuten, Seishin Ho…
- -Les Kata de combat (avec les Bunkai Omote et Ura) et les kata de santé avec Ki Nanbu Taiso et les Keiraku no kata.
- -Un type de compétition en accord avec le reste.
- -Les principes philosophiques, méditations, visualisation, son avec Mitsu no Chikara, Nanatsu no Chikara, Nanbutsu le Mantra du Nanbudo, Dojo Kun, San I Ittai, le Jinseikun de Nanbu Doshu Soke.
Et tout cela non pas comme une énumération mais de manière liée, en harmonie où Budo Ho et Kido Ho ne font qu’un avec Noryoku Kaihatsu Ho.
Dans le Randori Ichi no Kata, par exemple, nous trouvons tout le reste : combat, Ki, Kokyu, Mitsu no Chokara, Nanatsu no Chikara, Shoshuten…etc…etc… !
Là, c’est bien du Nanbudo et pas autre chose. Chaque technique isolée doit pouvoir se retrouver plus ou moins ailleurs mais l’ensemble non !
Ce qui veut dire qu’extraire une partie pour seule pratique n’est plus du Nanbudo !
Dans toutes les écoles il y a des exercices codifiés mais si Nanbu Doshu Soke est allé aussi loin, c’est pour nous permettre de nous ouvrir à plein de champs de recherches tout en n’oubliant pas la diversité de ces possibilités.
Cela peut paraitre un paradoxe car plus il y a d’exercices à mémoriser, plus grand est le risque de s’y réduire. Mais le grand nombre d’exercices permet de varier à l’infini les situations pour que quelques principes soient bien intégrés. Sinon on croit avoir compris et dès que la situation est différente on est perdu.
Du coup, pour bien comprendre ces principes, tout le travail de décodification est à faire pour donner du sens à ce qui est codifié. Codifier-décodifier-re codifier à l’infini.
C’est donc un apprentissage de techniques pour les dépasser qu’il s’agit de faire.
N’oubliez pas que l’on sait commencer un combat réel, mais qu’il y a tellement de paramètres en jeux que l’on ne peut pas se fixer sur quelque chose et que l’on doit s’adapter, quitte à faire quelque chose que l’on n’avait jamais fait auparavant.
La mode est de trouver des définitions simples pour tout, intellectuelle, sans ressenti ! Bien sûr il nous faut nous adapter aux personnes à qui nous nous adressons et nous mettre au niveau de leur compréhension, mais nous ne pouvons pas nous en contenter. Il faut toujours assurer une progression de cette compréhension par la pratique.
Eh oui, Nanbu Doshu Soke a créé une voie originale, différente des autres, un Shin Budo, un nouveau Budo, un nouvel art.
Cela ne veut pas dire que ce s’est mieux ou moins bien que les autres, cela veut dire que c’est un autre choix possible pour celles et ceux qui le désirent.
Alors, continuons à pratiquer, pour découvrir toutes les facettes de cet art.
Carel Stéphane Daï Shihan