Les petites pierres de Daï Shihan XXV : Hikite

Publié le 07/06/20
AFDP Nanbudo
Les petites pierres de Daï Shihan XXV : Hikite

Je voulais écrire sur les mantra et le Kotodama, suite au 12 mai, mais cela est plus ardu que je ne le pensais.

Continuons d’accompagner par la pensée notre cher Doshu Soke, puisse-t-il partir tranquille.

J’avais prévu un article avant le confinement concernant le Hikite, sujet que j’avais abordé dans une précédente chronique.

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Le Hikité en Karaté.

L’image pour beaucoup au karaté mais également dans de nombreuses écoles de jujitsu ou d’aïkido est celle-là :

Le poing fermé tiré à la hanche.




C’est souvent défini comme l’action simultanée de tirer le poing à la hanche pendant que l’on effectue son attaque de l’autre bras.

Quelques-uns ont également remarqué que selon les écoles le poing pouvait être tiré vers une autre partie du corps : plexus, tempe etc…

Pourquoi ce Hikite ? : pour être puissant, avoir plus de kime à l’impact, équilibrer le corps pour une technique suivante, etc… ?

Cela peut permettre également de mieux sentir la rotation des hanches.

Devenu souvent obligatoire en compétition pour que les points puissent être compté, ce Hikite est devenu incontournable et marqueur d’efficacité.

Et pourtant ! Hikite, 引 手 veut dire : tirer la main.

Gichin Funakoshi, le fondateur du Karaté Shotokan, l’écrit plusieurs fois dans son « Karate do kyohan » :

- dans son chapitre 4, les techniques de la main, il donne des définitions, Tsuki-te, Nuki-te, Shu-to etc… Pour Hiki-te il écrit : « Cette technique est une variante du kake-te (blocage en crochet). Dès que vous bloquez le poing adverse, agrippez-le et tirez le vers vous. Ce faisant, portez une attaque. En fait, en tirant l’adversaire à vous, vous le contrariez dans l’exécution de sa technique (waza) et provoquez son déséquilibre. Parallèlement, et c’est ce qui importe le plus ici, votre technique gagne en efficacité ; une efficacité d’autant plus grande que vous aurez pris soin de tirer avec un mouvement de torsion »

Dans le chapitre 4 consacré aux kata de bases dans le 1er Kata Shotokan Heian Shodan, 1ère séquence au tout début :

Pour ce 1er Gyaku Tsuki il écrit en remarque : « vous agrippez et tirez votre adversaire vers vous avec la main gauche et vous plongez le poing droit dans sa poitrine. »
Pour ce 2ème Gyaku Tsuki il écrit en remarque : « Imaginez que, à l’aide de la main droite, vous agrippez et tirez l’adversaire vers vous cependant que vous lui assénez un coup à la poitrine avec le poing gauche »


Et cela se répète de multiples fois.

Je crois que cela met bien en valeur les citations données dans mon avant dernière chronique que je remets à l’identique ci-dessous.

Kinjo Takashi Sensei : « De nos jours, on a trop tendance à faire les mouvements sans réfléchir à quoi ils servent. Ainsi la pratique du Hikite est devenue systématique au Karaté, ce qui est une aberration. Le Hikite correspond à une étape nécessaire pendant laquelle le corps se forme, ensuite il n’est utilisé que si nécessaire. Surtout, il ne faut pas faire d’appel et ramener le bras en arrière. Si la main est déjà devant, elle doit partir de là, propulsée par la force qui vient des pieds. Il faut aller au-delà de la forme et s’entrainer beaucoup pour comprendre l’essence du mouvement »

Kousaku Yokota Sensei : « L’autre point important est le fait que conserver un poing collé à la hanche n’est pas efficace. Ce type de Hikite est appelé Shinite, ce qui signifie coquille vide (ou littéralement, main morte). La main doit se trouver plus près du visage et de la tête afin de les protéger, tout en étant plus proche de la cible et prête à donner un coup. »

Il écrit également : « Il est évident que si l’adversaire est déséquilibré, il sera dans l’impossibilité d’attaquer et même de se défendre de manière efficace. Comment déséquilibrer l’adversaire ? Vous pouvez le pousser, effectuer un balayage, ou tirer l’adversaire vers vous. La méthode traditionnelle était d’agripper le poignet, la manche ou les vêtements de l’adversaire et de le tirer vers vous alors que vous portez le coup. Malheureusement, ce concept a été peu à peu retiré de l’enseignement et tout ce qu’il en est resté est le « Hikite » ».

Avez-vous l’impression que Jean Pierre Lavorato, grand représentant du Shotokan s’il en est, manque d’efficacité parce qu’il fait un autre hikite ?

Encore une fois, attention au détail qui l’emporte sur l’ensemble et qui risque de bloquer l’adaptation à toutes les situations.

D’ailleurs, pour les techniques à deux mains, les Morote Waza, personne, je pense, ne prétendrait que ce n’est pas efficace, et pourtant, le fameux Hikite à la hanche n’existe pas !                                         


Le Hikité au Nanbudo






Fidèle à ses habitudes, Nanbu Doshu Soke a codifié nombres de Hikité visibles et invisibles avec un souci de fluidité du mouvement, de circulation du Ki, d’efficacité dans des situations différentes.

Comme le fait de tirer vers soi et déséquilibrer l’adversaire pour expliquer un des Hikité du Karaté ci-dessus, beaucoup de défenses sont intégrées (cachées même) dans le Hikité du Nanbudo.

Et puis l’utilisation des deux mains, Liberté ! Les mains n'ont pas de rôles prédéfinis mais font tout, sont libres, ensembles ou non, inversant ou non les rôles, contribuant à laisser l'esprit libre et mobile pour s'adapter à l'imprévisible.

Dans le Gorin-no-sho, il est écrit par Myamoto Musashi : « dans mon école, un débutant apprend la voie en prenant en mains, en même temps, le grand sabre et le petit sabre. Ceci est essentiel. Si l'on doit mourir au combat, il est souhaitable d'utiliser toutes les armes que l'on porte. Il est déplorable de mourir avec des armes laissées au fourreau sans avoir été capable de les utiliser. » (Selon la traduction de Kenji Tokitsu)  

Les Hikite de Doshu Soke ci-dessus sont très visibles mais, en fait, il en existe beaucoup d’autres, plus subtils, dans le mouvement. Ils ne sont pas définis comme tel dans une description analytique du mouvement, et on ne les corrige pas avec des « attention à ton Hikite ! », ou « ton Hikite est trop bas ! » 

Le, ou devrai-je écrire les Hikite, peuvent avoir de multiples rôles : l’équilibre, la puissance, la capacité d’enchainer, la protection, j’en oublie certainement, et ce, en même temps ou en des temps séparés. On peut les trouver autant sur les défenses que sur les attaques, que ce soit en Go no Se, ou en Sen no Sen.

Allez, cherchez par vous-même, par exemple dans Nanbu Sotai Randori Ichi no Kata, par exemple,  où sont-ils dans la défense et où sont-ils dans la contre-attaque ? Facile, non ? Et comme ça vous pouvez passer en revue tous les Randori no Kata mais également les kata, et là, ce sera plus difficile, mais cela illustrera bien les richesses que nous a légué Nanbu Doshu Soke, sur ce point, et sur combien d’autres !

A bientôt, lorsque la situation le permettra, sur les tatamis, et d’ici là, comme dit souvent Dominique Valéra, « entretenez le matos ! »

Carel Stéphane Daï Shihan

 

 

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