Le stage des professeurs de Nanbudo de l'AFDP tout début octobre a été un vrai bonheur.
Bien au-delà des visio-conférences, des réseaux virtuels où se mélangent allégrement réseaux sociaux et réseaux asociaux, le plaisir de se retrouver, EN VRAI, sur les tatamis, pour pratiquer ensemble !
Il était important de relancer, je l'espère, cette nouvelle saison en s'adressant aux professeurs.
Les professeurs, sont ceux qui sont en première ligne pour faire partager aux Nanbudoka les techniques du Nanbudo, l'esprit du Nanbudo, les valeurs du Nanbudo.
Ils doivent conjuguer leur propre évolution et celle de leurs élèves.
Ils sont confrontés aux recherches de dojo, conditions administratives, conditions financières, avec souvent l'angoisse de la fermeture, et pour certains la fermeture après laquelle il faut rebondir.
La présence irrégulière de leurs élèves leur demande constamment à adapter ce qu'ils ont prévu, alors qu'eux, ils doivent toujours être présents.
Oui, elles sont toujours présentes et ils sont toujours présents quelques soient leurs humeurs, leurs difficultés, leurs blessures, leur état de santé, leur état de fatigue, etc…
Et là, depuis plus d'un an et demi, avec la Pandémie du COVID et les mesures gouvernementales prises, elles et ils ont dû puiser dans leur ressources personnelles la motivation pour motiver les autres dans une période où personne n'a été épargné : maintien des liens, cours en visio, mise en place de protocoles sanitaires, ordres et contre-ordres etc. etc. et un passe-sanitaire véritable frein à un redémarrage serein, avec toujours la crainte que cela ne soit pas fini, qu'il y aient de nouvelles mesures restrictives.
Le discours sur le Budo, construction d'une vie, réalisation de soi, bien au-delà des techniques de pieds et de poings a été, et reste, un vécu commun pour une réalité commune.
Et puis ce stage de professeurs enfin, et surtout, a permis de se retrouver pour la première fois après le décès de notre Doshu Soke !
Il nous a tant donné, il nous a tant laissé. Pour certaines et certains d'entre nous, il nous a tant façonné, corps et esprit.
Il est de notre responsabilité de ne pas garder cela pour nous mais d'en faire profiter d'autres générations, de cet art martial ou de ce Karaté de l'an 2000, comme il disait.
Et pour moi, cela a été également un grand plaisir de constater la réactivité de toutes et tous à des nouveaux exercices concoctés par Serge Salvai Dai Shihan et moi-même. Cela veut dire que le message du Doshu est passé au-delà des mots, dans la réalité.
Il nous a légué le Nanbudo, une langue vivante et non pas une langue morte !
Tout ce qu'il a construit, codifié, et il a énormément codifié, nous allons le garder : il n'y a rien à rajouter, il n'y a rien à retrancher.
Tous les kata qu'il a créé, les kata de karaté qu'il a sélectionné dans tous ceux qu'il connaissait et qu'il a gardé tel quel ou qu'il a modifié : il n'y a rien à rajouter, il n'y a rien à retrancher.
Le Nanbudo est le Do et le Budo de son créateur qui lui a donné son nom : il est Un et Indivisible.
Comme dans tout Budo, la codification révèle bien des messages et des possibilités !
La codification permet de transmettre dans le temps, comme notre alphabet ou en plus riche les Kanji, comme le solfège en musique.
Bien sûr, il y a des analphabètes géniaux, des musiciens fabuleux qui ne connaissent pas le solfège, mais nous sommes alors là devant une très grande difficulté de transmission.
Or Doshu voulait transmettre à toutes et tous.
A partir de l'alphabet (les techniques), à partir de la grammaire (les principes) que nous a appris le Doshu, il faut faire vivre le Nanbudo.
A partir de Omote, ce qui est visible, ce qui est démontrable, il faut faire vivre ce qui est Ura, ce qui est caché : Doshu nous a dit lors d'un cours théorique à Playa de Aro « Mettre en harmonie ce que l'on peut voir et ce que l'on ne peut pas voir »
A partir de ce qui est codifié, il faut décodifier pour y donner du sens et revenir au codifié. Ce sont sans cesse des allers et retours entre codifié et non codifié qu'il faut pratiquer.
A partir de la technique, il faut la dépasser, et faire vivre l'ART.
Et nous sommes maintenant dans une création collective, avec l'état d'esprit du Doshu, ouvert, non dogmatique, en adaptation, pour toutes et tous.
Lors d'une Assemblée générale de la W.N.F. en 2000, Doshu nous a dit : « pas de rails mais un éventail, si institutionnalisation, on perd »
Le message est clair non ?
Comme l'esprit qui ne doit pas se fixer lors d'un combat, la pensée du Doshu et sa créativité était toujours en mouvement : en mouvement mais dans une cohérence, une logique. L'exigence du Doshu de ne pas dénaturer le Nanbudo était une de ses préoccupations, et nous la retrouvons plusieurs fois écrite dans les statuts de la WNF, par exemple :
« La Worldwide Nanbudo Fédération veille à la sauvegarde de l'identité du Nanbudo à travers le monde afin de préserver intact le fruit de la pensée de Maître Yoshinao Nanbu, fondateur de la discipline, et d'éviter des altérations ou des interprétations erronées, soit dans le concept global du Nanbudo, soit dans chacune des branches qui le composent» ou encore : « Elle veille en particulier à uniformiser la technique précise du Nanbudo, sans interprétations personnelles qui pourraient dénaturer l'exactitude et la signification des techniques, des mouvements et des formes qui sont le produit de l'étude et de la création de Maître Yoshinao Nanbu. »
Ni « dogme », ni « n'importe quoi », mais Art vivant créé par un homme génial qui voyait loin, large, haut, en profondeur, dans la durée : Yoshinao Nanbu Doshu Soke.
Ossu.
Carel Stéphane Daï Shihan