Un artiste martial, quel que soit son âge, dès lors qu’il investit des efforts dans sa pratique, observera une évolution de sa technique, de sa finesse et rapidité d’exécution, dans sa compréhension de l’art qu’il pratique.
Cette progression sera matérialisée sous la forme du passage à sa taille d’une ceinture nouvelle, d’une couleur nouvelle.
Une telle conception se prête bien à l’évolution d’enfants mus par l’attrait d’une récompense qui les pousse à s’investir et qui motive leur application : le grade supérieur. Qui comble de fierté autant le jeune pratiquant que ses parents. Étape franchie. Mission accomplie.
Fier d’arborer le jaune plutôt que le blanc, le jeune étudiant d’arts martiaux par la couleur voit son statut changer. Au sein de la hiérarchie interne du Dojo, il a gravi une marche ! Par ses compétences acquises, et dont il porte la preuve à la taille, le voilà qui a quitté le statut de débutant pour faire un premier pas vers la maîtrise technique, qu’incarne son professeur. De quoi démultiplier sa motivation !
Ainsi l’élève, par la succession des teintes, s’élève. Le pratiquant, et la personne s’accomplissent en parallèle
Que ceux qui s’exclament que la ceinture n’a d’autre dessein que de soutenir le pantalon se détrompent, on a d’astucieux cordons pour cela. Non, la ceinture constitue de fait un élément de notre identité martiale, témoin de notre niveau de pratique. J’en prends le très fameux « Fais gaffe, je suis ceinture noire de karaté » pour exemple. Vraie ou pas, une telle mise en garde joue sur l’aura d’un grade. Les grades ont un sens. Reste à définir lequel. Et dans quelle mesure.
Dans notre école, nous Nanbudokas avons le singulier privilège, dans le cadre d’une relation de maître à disciple, d’avoir toujours jusque-là été gradés par Doshu Soke Yoshinao Nanbu en personne. Lequel n’a jamais manqué d’accompagner l’obtention d’un grade de sa justifictaion : « Pour tes efforts, et ta compréhension du Nanbudo ». Poignée de main, échange de regards, et signature dans le passeport WNF scellent la gradation.
Cela en fait un véritable rituel, qui s’installe (la plupart du temps) dès l’obtention du 1er Dan et qui ajoute à la fierté qui est celle-là même de l’enfant récompensé ; une dimension honorifique tout à fait tangible. Investi d’un nouveau grade, on est investi de nouvelles responsabilités. Changement d’échelle, on a gravi une nouvelle marche. Non pas dans le Dojo, mais plus largement dans l’École. Seulement, le grade n’est alors plus un accomplissement en soi. Son obtention s’est méritée, mais il faudra encore se montrer digne à chaque instant du grade qui nous a été confié par Doshu Soke, au sein de son école. Être à la hauteur de ce qui est attendu de nous.
Omettre cela reviendrait à recevoir ce grade avec l’immaturité d’un enfant. Ce serait oublier la responsabilité qui l’accompagne. Ce serait ne pas se saisir de l’implicite qui accompagne la gradation. Et c’est d’autant plus vrai pour la sphère des hauts, ou très hauts gradés : Le grade obtenu est de moins en moins une récompense, et de plus en plus un engagement. Une attente, de son fondateur pour son école.
À l’image du feudataire qui, recevant de son seigneur les honneurs d’un fief de 250 000 kokus, les emploie à ce que son seigneur en gagne le double ; le haut gradé doit employer la confiance qui lui est prêtée à développer son école, former des pratiquants, enseigner fidèlement.
Enrichir, plutôt que s’enrichir.
Là réside toute la valeur d’un grade attribué, et là réside aussi tout le respect qu’un gradé inspire. Le plus haut gradé, enorgueilli par sa ceinture et obnubilé par son moi, sera moins digne de respect que la 4eme Dan humble et dévouée, qui enseigne et qui promeut sa pratique sans rien attendre en retour que la paix, et la satisfaction d’avoir répondu de ses responsabilités en tant que gradée.
Le grade n’a de raison d’être (à l’âge adulte) que dans le cadre d’une pratique organisée en École. Sans prérogatives établies, chacun à son obtention doit se saisir de ce que cela représente vraiment avant de l’accepter, avec humilité.
Pour le porter ensuite, avec lucidité. S’en servir, avec fidélité.
Moins une récompense qu’une responsabilité,
Moins un bien matériel, que symbolique.
Chaque grade est un honneur. Duquel il convient de se montrer à la hauteur.
Boris Salvai,
2ème Dan de Yoshinao Nanbu, Doshu Soke